Réception de Flaubert en Irlande
Brigitte Le Juez  1, *  
1 : (Dublin College University)
* : Auteur correspondant

Emancipation artistique : la réception de Flaubert en Irlande au tournant du XXe siècle

 Pendant près de huit siècles, les Britanniques assujettirent l'Irlande, lui refusant les droits les plus fondamentaux, comme celui de s'exprimer dans sa langue ancestrale, tentant ainsi d'éroder son identité. Les Irlandais, qui vivaient par ailleurs dans une pauvreté souvent avilissante, permettant à leurs détracteurs de les considérer comme non civilisés (et donc « civilisables »), étaient parfois assimilés dans la littérature anglaise à des singes ou des porcs.

A partir de la fin du XIXe siècle, certains écrivains commencèrent à lutter, par le biais de leur art, contre ce type de stéréotype injurieux. Ils se tournèrent assez naturellement, et intellectuellement, vers l'ennemi héréditaire de l'Angleterre d'alors, la France, pays qui avait en outre, par le passé, essayé, chaque fois sans succès, de combattre à leurs côtés dans divers moments de rébellion contre l'armée britannique.

Il est intéressant de noter que les auteurs dont il sera question ici lisaient leurs homologues français dans l'original, sans attendre les traductions anglaises de leurs œuvres, évitant d'autant mieux la censure imposée par Londres, en particulier en ce qui concerne Flaubert envers qui la critique anglaise était généralement hostile. La connaissance d'une langue continentale européenne fut d'ailleurs le moyen, pour les générations du tournant du XXe siècle d'accéder à de nouvelles formes d'expression littéraire, et de concevoir non seulement une parole délivrée du carcan colonial et fondamentalement innovante, mais aussi des œuvres qui, loin d'être insulaires, conservent une renommée internationale.

Le sujet a déjà été en partie examiné, notamment par Declan Kiberd (Inventing Ireland. The Literature of the Modern Nation – 1995) et par Pascale Casanova dans son étude sur « Le paradigme irlandais » (La République mondiale des Lettres – 1999). Casanova identifie un mouvement littéraire de subversion de l'ordre dominant anglais et identifie quatre positions : 1) les auteurs qui « inventent » une tradition (Yeats ou Lady Gregory), 2) les auteurs réalistes, plus impliqués politiquement, qui veulent représenter les difficultés et les combats de leur génération (O'Casey), 3) ceux qui, rejetant l'approche nationaliste irlandaise et l'impérialisme britannique à la fois, cherchent à subvertir la langue anglaise sur le sol anglais (Wilde ou Shaw), et 4) ceux qui se distancent de tous ces débats, esthétiques et politiques, irlandais pour se créer un espace littéraire autonome (Joyce et Beckett, entre autres). Ce sont ces derniers qui nous intéressent car ni Kiberd ni Casanova n'a examiné le rôle de Flaubert dans leur émancipation créatrice, sujet que cette communication se propose d'examiner.


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